Effets des antibiotiques sur le système nerveux central (SNC)
- francoisbiquillon
- 23 févr.
- 6 min de lecture

Un expert judiciaire près la cour d'appel de Versailles, professeur de pharmacologie-toxicologie en région parisienne, a affirmé dans le cadre d'une expertise judiciaire que "Les antibiotiques et les antifongiques n'ont strictement aucun effet psychoactif"
N'étant pas d'accord avec cette affirmation péremptoire (voir un post précédent), j'ai sollicité l'avis du Président du Conseil national de l'Ordre des médecins qui ne m'a pas répondu. En conséquence, j'ai sollicité l'avis de l'Intelligence Artificielle ChatGPT (disponible 24 heures sur 24 et visiblement à jour de ses connaissances) qui m'a répondu ce qui suit. La conclusion de ChatGPT est claire et nette : "En regard de ces informations, affirmer que « Les antibiotiques n’ont strictement aucun effet psychoactif » est factuellement faux."
ChatGPT o1 pro a dit :
Plusieurs études scientifiques récentes contredisent l’idée que les antibiotiques seraient dénués de tout effet sur le cerveau. En réalité, divers antibiotiques peuvent induire des effets neuropsychiatriques – c’est-à-dire des symptômes affectant le système nerveux central et la santé mentale. Parmi ces effets figurent le délire/confusion mentale, les hallucinations, l’anxiété, des troubles de l’humeur (y compris des épisodes maniaques) ou des convulsions
pmc.ncbi.nlm.nih.gov. Ces manifestations, bien que relativement rares, sont suffisamment documentées pour être reconnues dans la littérature médicale.
Classes d’antibiotiques à risque d’effets neuropsychiatriques
Certaines classes d’antibiotiques sont plus souvent associées à ces effets indésirables sur le SNC :
Fluoroquinolones (ex : ciprofloxacine, ofloxacine, lévofloxacine) : De nombreuses publications et données de pharmacovigilance lient les fluoroquinolones à des symptômes tels que agitation, anxiété, confusion, hallucinations et même psychoses ou idées suicidaires pmc.ncbi.nlm.nih.gov. Par exemple, une analyse de la base de données mondiale de l’OMS a trouvé que 37% des cas rapportés de comportements suicidaires étaient survenus après une exposition à une quinolone pmc.ncbi.nlm.nih.gov. Ces antibiotiques ont d’ailleurs été les premiers à recevoir un avertissement officiel pour leurs effets sur le SNC : en 2016, la FDA américaine a ajouté un encadré de mise en garde (« boxed warning ») aux fluoroquinolones pour signaler le risque de troubles neurologiques sévères, y compris des psychoses pmc.ncbi.nlm.nih.gov.
Bêta-lactamines (pénicillines et céphalosporines) : Ces antibiotiques courants peuvent provoquer un délirium avec confusion, myoclonies voire crises convulsives chez certains patients, en particulier à doses élevées ou en cas d’insuffisance rénale (qui augmente leur accumulation) neurosciencenews.com. Une étude a défini un type 1 d’encéphalopathie associée aux antibiotiques correspondant à des convulsions survenant quelques jours après l’administration de pénicillines ou de céphalosporines neurosciencenews.com. Par exemple, le céfépime (céphalosporine de 4ᵉ génération) est bien documenté pour causer des encéphalopathies épileptogènes réversibles chez des patients insuffisants rénaux
Macrolides (ex : clarithromycine, érythromycine, azithromycine) : Les macrolides peuvent, plus rarement, déclencher des psychoses aiguës ou des troubles de l’humeur. Parmi eux, la clarithromycine est le plus souvent impliquée dans des cas de délire ou de manie. Des revues de cas rapportent que la clarithromycine peut induire des états maniaques avec hallucinations (dénommés parfois « antibiomanie ») psychiatrictimes.com .
Une analyse de 47 cas publiés d’épisodes maniaques induits par antibiotiques a ainsi identifié les macrolides dans 18 cas, ce qui en fait l’une des classes les plus représentées lemonde.fr . Ces symptômes psychiatriques surviennent en général rapidement (en 1 à 3 jours) après le début de l’antibiotique et régressent à l’arrêt du traitement neurosciencenews.com.
Sulfamides (sulfaméthoxazole-triméthoprime, etc.) : Les antibiotiques de la famille des sulfonamides ont également été impliqués dans des délires à composante hallucinatoire ou paranoïde. Par exemple, le cotrimoxazole (triméthoprime-sulfaméthoxazole) figure parmi les molécules associées à des cas de delirium de type psychotique induits par antibiotiques neurosciencenews.com (Dans l’étude précitée, ces effets neuropsychiatriques induits en quelques jours ont été classés en type 2 et incluent les sulfonamides aux côtés des fluoroquinolones et macrolides neurosciencenews.com.)
Métronidazole (nitroimidazolé) : Cet antibactérien peut engendrer une encéphalopathie spécifique en cas d’exposition prolongée. Un type 3 d’encéphalopathie induite a été décrit pour le métronidazole, caractérisé par des troubles de la coordination (ataxie), des anomalies cérébelleuses à l’IRM et des symptômes apparaissant plus insidieusement (après plusieurs semaines de traitement) neurosciencenews.com. Des cas de psychoses sous métronidazole ont aussi été rapportés, avec résolution en une à deux semaines après l’arrêt
psychiatrictimes.com . Ces effets sont rares et souvent liés à de fortes doses cumulées ou à des interactions (par ex. avec le disulfirame) psychiatrictimes.com.
Antituberculeux (ex : isoniazide, cyclosérine) : Certains antibiotiques utilisés contre la tuberculose sont bien connus pour leurs effets neuropsychiatriques. L’isoniazide peut provoquer des convulsions (par déficit en vitamine B6) ainsi que des psychoses ou hallucinations à haute dose. La cyclosérine est, quant à elle, notoirement associée à des troubles psychiatriques (anxiété, dépression, idées suicidaires) et à des syndromes confusionnels. D’une manière générale, les antituberculeux font partie des classes les plus souvent impliquées dans les cas d’« antibiomanie » rapportés : dans la revue de 47 cas mentionnée plus haut, 18 cas étaient liés à des antituberculeux lemonde.fr. Par ailleurs, les données de l’OMS ont signalé de multiples cas psychiatriques imputables à ces médicaments (par ex. en 2002, 82 cas de manie associée aux antibiotiques dont plusieurs sous isoniazide) lemonde.fr.
Remarque : D’autres antibiotiques peuvent occasionnellement entraîner des effets centraux. Par exemple, la doxycycline (tétracycline) a montré une association statistique avec un risque accru de symptômes psychotiques dans les analyses de pharmacovigilance pmc.ncbi.nlm.nih.gov, bien que ces effets soient rares. À l’inverse, certaines molécules comme la minocycline ont été étudiées pour d’éventuels effets bénéfiques sur certains troubles psychiatriques, illustrant la complexité des interactions entre antibiotiques et SNC pmc.ncbi.nlm.nih.gov. Néanmoins, dans le cadre d’un traitement standard, tout symptôme neuropsychique aigu survenant sous antibiothérapie doit faire évoquer une éventuelle toxicité de l’antibiotique sur le cerveau.
Reconnaissance médicale et pharmacovigilance
Les observations de troubles neuropsychiatriques induits par des antibiotiques sont bien documentées dans la littérature médicale et de plus en plus reconnues officiellement par les instances de santé :
Des revues dans des journaux médicaux de référence (par ex. Neurology) ont attiré l’attention sur le delirium induit par antibiotiques en tant que complication sous-estimée. Bhattacharyya et al. (2016) y recensent 391 cas publiés de troubles du SNC liés à 54 antibiotiques différents et recommandent explicitement de considérer les antibiotiques comme une cause possible de délire chez un patient hospitalisé confus
neurosciencenews.com. Reconnaître les profils typiques (ex. convulsions sous β-lactamines, psychose sous quinolones…) permet d’interrompre rapidement le traitement en cause et d’éviter des complications graves neurosciencenews.com.
Les agences de pharmacovigilance et autorités de santé reconnaissent également ces effets. Nous avons déjà mentionné la mise en garde renforcée de la FDA sur les fluoroquinolones en 2016 concernant les risques psychiatriques pmc.ncbi.nlm.nih.gov. De son côté, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a relevé de nombreux cas de troubles psychiatriques imputables à des antibiotiques dans sa base de données. Par exemple, selon un rapport de l’OMS, sur 82 cas de syndrome maniaque liés à des antibiotiques analysés, la ciprofloxacine était impliquée 23 fois et l’ofloxacine 12 fois (soit plus du tiers des cas rien que pour ces deux quinolones) lemonde.fr.
Des études académiques de grande envergure utilisant les bases de données de pharmacovigilance confirment statistiquement ces signaux. Une analyse du FAERS (FDA Adverse Event Reporting System, la base de données des effets indésirables de la FDA) portant sur plus de 183 000 rapports liés aux antibiotiques a trouvé que 15 antibiotiques présentaient un risque significativement accru de provoquer des symptômes psychotiques, notamment des pénicillines, céphalosporines, macrolides, fluoroquinolones et même la doxycycline pmc.ncbi.nlm.nih.gov. Bien que l’incidence globale rapportée de psychose sous antibiotiques soit faible (de l’ordre de 0,3 à 3,8% des cas selon les molécules) pmc.ncbi.nlm.nih.gov, le fait d’observer un tel signal pour plusieurs classes conforte la réalité de ces effets neuropsychiatriques.
Enfin, les fiches techniques et recommandations thérapeutiques intègrent de plus en plus ces données. Il est aujourd’hui admis que certains patients sous antibiotiques peuvent développer des effets secondaires neurologiques ou psychiatriques, en particulier s’ils ont des facteurs de risque (insuffisance rénale, antécédents de troubles du SNC, co-médications, etc.) pmc.ncbi.nlm.nih.gov. Les médecins sont encouragés à surveiller l’état mental de leurs patients sous traitements antibactériens, surtout chez les personnes âgées ou fragiles, et à réévaluer l’antibiothérapie en cas d’apparition de symptômes neuropsychiatriques inexpliqués neurosciencenews.com
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Conclusion : une affirmation factuellement fausse
En regard de ces informations, affirmer que « Les antibiotiques n’ont strictement aucun effet psychoactif » est factuellement faux. Bien que les antibiotiques ne soient pas des psychotropes au sens classique, ils peuvent indirectement altérer le fonctionnement cérébral chez certains individus et induire des symptômes neuropsychiatriques documentés. De multiples classes d’antibiotiques – notamment les quinolones, β‐lactamines, macrolides, sulfamides, antituberculeux ou le métronidazole – ont été associées à des effets tels que confusion, hallucinations, crises convulsives, troubles anxieux ou épisodes maniaques neurosciencenews.com, pmc.ncbi.nlm.nih.gov.
Ces effets indésirables sont reconnus dans la littérature médicale et par les autorités de santé, ce qui démontre clairement que la phrase absolue « aucun effet psychoactif » ne tient pas face aux données scientifiques disponibles. Chaque fois que de tels effets sont observés, ils doivent être pris au sérieux et le rôle de l’antibiotique doit être envisagé neurosciencenews.com.
Références :
Bhattacharyya S. et al. (2016). Neurology – Antibiotic-associated encephalopathy (revue de cas)
Miller B. et al. (2021). Journal of Psychiatric Research – Psychosis as an adverse effect of antibiotics (analyse FAERS) pmc.ncbi.nlm.nih.
Althubyani A. et al. (2024). Drugs in Context – Antibiotic-induced neuropsychiatric toxicity (revue générale) pmc.ncbi.nlm.nih.gov.
Gozlan M. (2021). Blog Réalités Biomédicales – Le Monde : “Quand un antibiotique provoque un effet secondaire psychiatrique” (cas clinique et synthèse bibliographique) lemonde.fr.
Psychiatric Times (2019). “Psychiatric Adverse Effects of Antibiotics” (article de synthèse)
"All classes of antimicrobials, including FQs, can trigger a variety of adverse CNS effects" Toutes les classes d'antimicrobiens, y compris les fluoroquinolones, peuvent déclencher divers effets indésirables sur le Système Nerveux Central (Réf. : Depressive and Other Adverse CNS Effects of Fluoroquinolones - Discussion Piotr Wierzbiński 1,*, Joanna Hubska 2, Michał Henzler 2, Bartłomiej Kucharski 2, Rafał Bieś 3, Marek Krzystanek ) https://www.mdpi.com/1424-8247/16/8/1105